Didier Lestrade en veut à la
planète entière. Enfin à celle qui connaît : la planète gay, qui forme son
monde depuis tant d’années. Il a décidé de partir en guerre contre ces « gays
passés à droite ». Pourquoi pas. Sauf qu’en lisant ce petit pamphlet, très
court et surtout très confus, on comprend que la droite commence très à gauche…
Dès qu’un gay ou une lesbienne ose défendre une vision antiraciste universaliste,
féministe et laïque, et non communautariste, du vivre-ensemble.
On le comprend en voyant la haine
déployée dans un chapitre consacré à Caroline Fourest sous le titre
« Caroline Fourest et le garçon arabe ». Le titre, douteux, est à
l’image de la mauvaise foi du réquisitoire. Didier Lestrade ne cache pas une
certaine fascination pour l’éditorialiste « Elle est époustouflante à la télé.
Elle ne s’énerve jamais, elle est calme et posée, elle connaît par cœur son
argumentaire, elle est incroyablement télégénique avec ses cheveux simplement
coiffés et son maquillage discret. Du point de vue LGBT, on peut dire qu’elle
est parvenue au sommet de la pyramide du groupe sexuel auquel elle appartient.
C’est une « tueuse » qui a réussi dans la plus grande partie de ses
copines de la communauté lesbienne en sont encore à ramer dans l’underground » .
Lestrade est donc d’accord pour
reconnaître que Fourest a du talent. Ca ne l’empêche pas d’attribuer son succès
non pas à son mérite mais à la promotion — non pas canapé, il ne peut pas —
mais au moins à des hommes : « Quand
Philippe Val est nommé à la présidence d’Inter en 2009 en récompense de ses
bons et loyaux combats contre l’intégrisme, Caroline Fourest obtient une
chronique régulière au Monde et à France culture ». Pas de chance,
vérification faite, Caroline Fourest est entrée au Monde et à France Culture en
2008… à la demande d’Ali Baddou, alors animateur des « Matins de France
culture ». Le tout bien avant que Hees ne soit nommé à Radio France et
Val à Inter ! Par ailleurs, ce sont deux espaces où Caroline Fourest se
montre régulièrement impitoyable avec la politique de Nicolas Sarkozy, qu’elle
a toujours critiqué (notamment dans un numéro spécial ravageur rédigé pendant
la campagne de 2007 pour Charlie Hebdo).
Au lieu de reconnaître tout
simplement les qualités de l’éditorialiste, Didier Lestrade ne lui pardonne
visiblement pas (ou envie) son succès et cherche donc des moteurs moins
nobles : « C’est une femme qui s’attaque aux hommes, une lesbienne
qui osent s’attaquer aux islamistes ». Etrange résumé.
Mauvaise foi à toutes les lignes
Le titre du chapitre est emprunté
à un livre atterrant de Nacira Guénif et Eric Macé, Les féministes et les garçon arabe… Dont la thèse est assez
iconoclaste : les féministes laïques seraient l’avant-garde du racisme et
les filles voilées l’avant-garde du Queer. Si, si, vous avez bien lu : le
voile serait l’avant-garde de la déconstruction des genres ! Il fallait
oser. Mais vous connaissez certains sociologiques. Ils osent tout. C’est même à
ça qu’on les reconnaît…
Didier Lestrade ne va pas jusqu’à
traiter Caroline Fourest de raciste. Ce serait un peu gros, vu qu’il s’agit
d’une intellectuelle engagée contre les discriminations depuis des années, et
sans doute de celle qui a fait le plus pour décrypter le racisme anti-musulmans
de groupes comme Riposte laïque ou du FN. Mais alors que lui reproche au juste
Didier Lestrade ? D’avoir soutenu la loi contre les signes religieux à
l’école publique et critiqué Tariq Ramadan… Ce qu’il assimile à taper sur
« les musulmans ». Or Caroline Fourest est lesbienne et pour
Lestrade, une lesbienne n’a pas le droit de critiquer « les musulmans ».
Je vous promets que je ne
caricature pas. Ce livre révèle une vision dramatiquement infantile du point de
vue intellectuel : puisque les minorités sont des communautés, elles
doivent se serrer les coudes d’un bloc. Puisque l’intégrisme n’existe pas (à le
lire), le féminisme anti-intégrisme contre est forcément un racisme… Même
lorsqu’il est porté par des musulmans ou des musulmans laïques, ou par Caroline
Fourest… Qui, parce qu’elle est lesbienne, n’a pas le droit de critiquer
l’intégrisme musulman.
En revanche, Didier Lestrade,
lui, a parfaitement le droit de taper sur les homos qu’il jalouse. Il va même
jusqu’à insinuer que Caroline Fourest est maintenant si connue qu’elle fait
tout pour cacher son homosexualité. D’où lui vient donc cette idée ?
Lestrade en veut pour preuve un extrait de Libération
qui présente Caroline Fourest lors de « La semaine de l’écrivain »…. En parlant des livres
qu’elle a écrit et non de son orientation sexuelle ! Lestrade, qui n’a
écrit que des livres auto-centrés et communautaires, semble ne pas du tout
comprendre qu’une auteure — fut-elle lesbienne — puisse être présentée par sa
bibliographie. Mais le plus drôle, c’est qu’en allant relire cette
« Semaine de l’écrivain », on s’aperçoit que Caroline Fourest y parle
de sa femme, Fiametta Venner, au détour d’une anecdote. Ils sont pénibles ces
universalistes. Non seulement, il écrivent des livres pour le grand public mais
en plus ils assument !
Aucun problème avec la domination
masculine
Mais alors pourquoi cette
fixation de Didier Lestrade ? On la cerne mieux quand il précise
« qu’il n’a aucun problème avec le voile » (c’est vrai que c’est pratique
pour cacher les femmes dans l’espace public et mettre en valeur les garçons). Au
fil des pages, on comprend que l’auteur n’a en fait aucun problème avec la
domination masculine, dès lors qu’il vient d’une religion qu’il sacralise de
façon assez exotique : l’Islam. Sans doute un reste d’éducation coloniale.
Didier Lestrade est fils de rapatriés d’Algérie. Ce qui explique peut-être son
incapacité à s’extraire de l’exotisme pour lutter contre l’intégrisme. Lui
viendrait-il de traiter Caroline Fourest de « cathophobe » parce
qu’elle a combattu Christine Boutin au moment du PaCS ? Boutin est
pourtant moins à droite que Tariq Ramadan sur les questions de mœurs…. C’est
donc Didier Lestrade qui passe à droite en prenant son parti et même en ayant
milité avec ses troupes au sein des Indigènes de la République.
Rappelons que l’un des mentors
des associations musulmanes gravitant autour des Frères Ramadan et de l’UOIF
s’appelle Youssef Al Qaradhawi et qu’il réclame la mise à mort pour les
homosexuels. On laissera à Didier Lestrade et à ses camarades de minorités.org
(également fascinés par Tariq Ramadan) le soin d’en faire l’exégèse… Au coin du
feu.
Lestrade et le garçon arabe
On n’entend guère Lestrade s’émouvoir
lorsque des homosexuels sont pendus en Iran, ou persécutés en banlieue par des
petits fachos barbus... Il faut dire que l’on croise surtout des garçons arabes
soumis — et non dominants — dans le petit monde fantasmagorique de Didier
Lestrade… Où les amants sont classés par ethnie et par origine. C’est en lisant
sa conclusion, pathétique, que l’on mesure les ravages de l’exotisme, et jusqu’où
il peut conduire.
Après avoir accusé Caroline
Fourest d’être obsédée par le « garçon arabe », simplement parce
qu’elle a combattu l’intégrisme pro-voile, Didier Lestrade se livre à une
étrange confession : « Quand je suis parti vivre à la campagne, en
2002, mon rêve inavoué était de commencer cette nouvelle vie, la dernière
partie de mon existence, avec un homme non blanc. Parce que j’ai réalisé
presque tous mes rêves dans ma vie, sauf celui-ci : tomber amoureux d’un
homme vraiment différent (sic !!!!!!, NDA), qui pourrait m’apprendre des choses
qu’un homme blanc ne pourrait m’apprendre ».
En lisant ces quelques lignes, dégoulinantes
d’exotisme post-colonial, on comprend mieux. Ce n’est pas Caroline Fourest qui
fantasme sur le garçon arabe… Mais Didier Lestrade.
Nesma Ajmi
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