jeudi 2 février 2012

Les fantasmes de Didier Lestrade


Didier Lestrade en veut à la planète entière. Enfin à celle qui connaît : la planète gay, qui forme son monde depuis tant d’années. Il a décidé de partir en guerre contre ces « gays passés à droite ». Pourquoi pas. Sauf qu’en lisant ce petit pamphlet, très court et surtout très confus, on comprend que la droite commence très à gauche… Dès qu’un gay ou une lesbienne ose défendre une vision antiraciste universaliste, féministe et laïque, et non communautariste, du vivre-ensemble.

On le comprend en voyant la haine déployée dans un chapitre consacré à Caroline Fourest sous le titre « Caroline Fourest et le garçon arabe ». Le titre, douteux, est à l’image de la mauvaise foi du réquisitoire. Didier Lestrade ne cache pas une certaine fascination pour l’éditorialiste « Elle est époustouflante à la télé. Elle ne s’énerve jamais, elle est calme et posée, elle connaît par cœur son argumentaire, elle est incroyablement télégénique avec ses cheveux simplement coiffés et son maquillage discret. Du point de vue LGBT, on peut dire qu’elle est parvenue au sommet de la pyramide du groupe sexuel auquel elle appartient. C’est une « tueuse » qui a réussi dans la plus grande partie de ses copines de la communauté lesbienne en sont encore à ramer dans l’underground » .

Lestrade est donc d’accord pour reconnaître que Fourest a du talent. Ca ne l’empêche pas d’attribuer son succès non pas à son mérite mais à la promotion — non pas canapé, il ne peut pas — mais au moins à des hommes : « Quand Philippe Val est nommé à la présidence d’Inter en 2009 en récompense de ses bons et loyaux combats contre l’intégrisme, Caroline Fourest obtient une chronique régulière au Monde et à France culture ». Pas de chance, vérification faite, Caroline Fourest est entrée au Monde et à France Culture en 2008… à la demande d’Ali Baddou, alors animateur des « Matins de France culture ». Le tout bien avant que Hees ne soit nommé à Radio France et Val à Inter ! Par ailleurs, ce sont deux espaces où Caroline Fourest se montre régulièrement impitoyable avec la politique de Nicolas Sarkozy, qu’elle a toujours critiqué (notamment dans un numéro spécial ravageur rédigé pendant la campagne de 2007 pour Charlie Hebdo).

Au lieu de reconnaître tout simplement les qualités de l’éditorialiste, Didier Lestrade ne lui pardonne visiblement pas (ou envie) son succès et cherche donc des moteurs moins nobles : « C’est une femme qui s’attaque aux hommes, une lesbienne qui osent s’attaquer aux islamistes ». Etrange résumé.

Mauvaise foi à toutes les lignes

Le titre du chapitre est emprunté à un livre atterrant de Nacira Guénif et Eric Macé, Les féministes et les garçon arabe… Dont la thèse est assez iconoclaste : les féministes laïques seraient l’avant-garde du racisme et les filles voilées l’avant-garde du Queer. Si, si, vous avez bien lu : le voile serait l’avant-garde de la déconstruction des genres ! Il fallait oser. Mais vous connaissez certains sociologiques. Ils osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît…

Didier Lestrade ne va pas jusqu’à traiter Caroline Fourest de raciste. Ce serait un peu gros, vu qu’il s’agit d’une intellectuelle engagée contre les discriminations depuis des années, et sans doute de celle qui a fait le plus pour décrypter le racisme anti-musulmans de groupes comme Riposte laïque ou du FN. Mais alors que lui reproche au juste Didier Lestrade ? D’avoir soutenu la loi contre les signes religieux à l’école publique et critiqué Tariq Ramadan… Ce qu’il assimile à taper sur « les musulmans ». Or Caroline Fourest est lesbienne et pour Lestrade, une lesbienne n’a pas le droit de critiquer « les musulmans ».

Je vous promets que je ne caricature pas. Ce livre révèle une vision dramatiquement infantile du point de vue intellectuel : puisque les minorités sont des communautés, elles doivent se serrer les coudes d’un bloc. Puisque l’intégrisme n’existe pas (à le lire), le féminisme anti-intégrisme contre est forcément un racisme… Même lorsqu’il est porté par des musulmans ou des musulmans laïques, ou par Caroline Fourest… Qui, parce qu’elle est lesbienne, n’a pas le droit de critiquer l’intégrisme musulman.

En revanche, Didier Lestrade, lui, a parfaitement le droit de taper sur les homos qu’il jalouse. Il va même jusqu’à insinuer que Caroline Fourest est maintenant si connue qu’elle fait tout pour cacher son homosexualité. D’où lui vient donc cette idée ? Lestrade en veut pour preuve un extrait de Libération qui présente Caroline Fourest lors de « La semaine de  l’écrivain »…. En parlant des livres qu’elle a écrit et non de son orientation sexuelle ! Lestrade, qui n’a écrit que des livres auto-centrés et communautaires, semble ne pas du tout comprendre qu’une auteure — fut-elle lesbienne — puisse être présentée par sa bibliographie. Mais le plus drôle, c’est qu’en allant relire cette « Semaine de l’écrivain », on s’aperçoit que Caroline Fourest y parle de sa femme, Fiametta Venner, au détour d’une anecdote. Ils sont pénibles ces universalistes. Non seulement, il écrivent des livres pour le grand public mais en plus ils assument !

Aucun problème avec la domination masculine

Mais alors pourquoi cette fixation de Didier Lestrade ? On la cerne mieux quand il précise « qu’il n’a aucun problème avec le voile » (c’est vrai que c’est pratique pour cacher les femmes dans l’espace public et mettre en valeur les garçons). Au fil des pages, on comprend que l’auteur n’a en fait aucun problème avec la domination masculine, dès lors qu’il vient d’une religion qu’il sacralise de façon assez exotique : l’Islam. Sans doute un reste d’éducation coloniale. Didier Lestrade est fils de rapatriés d’Algérie. Ce qui explique peut-être son incapacité à s’extraire de l’exotisme pour lutter contre l’intégrisme. Lui viendrait-il de traiter Caroline Fourest de « cathophobe » parce qu’elle a combattu Christine Boutin au moment du PaCS ? Boutin est pourtant moins à droite que Tariq Ramadan sur les questions de mœurs…. C’est donc Didier Lestrade qui passe à droite en prenant son parti et même en ayant milité avec ses troupes au sein des Indigènes de la République.

Rappelons que l’un des mentors des associations musulmanes gravitant autour des Frères Ramadan et de l’UOIF s’appelle Youssef Al Qaradhawi et qu’il réclame la mise à mort pour les homosexuels. On laissera à Didier Lestrade et à ses camarades de minorités.org (également fascinés par Tariq Ramadan) le soin d’en faire l’exégèse… Au coin du feu.

Lestrade et le garçon arabe

On n’entend guère Lestrade s’émouvoir lorsque des homosexuels sont pendus en Iran, ou persécutés en banlieue par des petits fachos barbus... Il faut dire que l’on croise surtout des garçons arabes soumis — et non dominants — dans le petit monde fantasmagorique de Didier Lestrade… Où les amants sont classés par ethnie et par origine. C’est en lisant sa conclusion, pathétique, que l’on mesure les ravages de l’exotisme, et jusqu’où il peut conduire.

Après avoir accusé Caroline Fourest d’être obsédée par le « garçon arabe », simplement parce qu’elle a combattu l’intégrisme pro-voile, Didier Lestrade se livre à une étrange confession : « Quand je suis parti vivre à la campagne, en 2002, mon rêve inavoué était de commencer cette nouvelle vie, la dernière partie de mon existence, avec un homme non blanc. Parce que j’ai réalisé presque tous mes rêves dans ma vie, sauf celui-ci : tomber amoureux d’un homme vraiment différent (sic !!!!!!, NDA), qui pourrait m’apprendre des choses qu’un homme blanc ne pourrait m’apprendre ».

En lisant ces quelques lignes, dégoulinantes d’exotisme post-colonial, on comprend mieux. Ce n’est pas Caroline Fourest qui fantasme sur le garçon arabe… Mais Didier Lestrade.


Nesma Ajmi

L’homosexualité en Tunisie, et si on en parlait ?

http://nawaat.org/portail/2011/12/02/lhomosexualite-en-tunisie-et-si-on-en-parlait/

mercredi 28 décembre 2011

vendredi 27 mai 2011

Lettre ouverte d'un gay désappointé face à la vie gay en Tunisie, à celles et ceux qui se veulent solidaires pour la dignité de l’homosexuel.

Je suis de la génération, qui n'a rien de ringarde, des luttes pour survivre à l’homophobie écrasante de la société tunisienne. Époque où des gays se retrouvaient contraints d’être efféminés, ceci imposé par le désir machiste, où être gay ne correspondait qu’à celui qui est  sodomisé, où on luttait pour prouver leur humanité sous les lazzis et les harcèlements des policiers ; alors que dans le monde occidental les homosexuels hurlaient « droit au mariage ».
Des gays qui jusqu’à lors se cachent derrière des pseudonymes, qui arrivent à mentir sur leur vrai prénom même avec leur partenaire et ce pour toute la période qu’ils sont ensemble, des gens qui n’arrivent toujours pas à assumer ce qu’ils sont. Ils se méprisent les uns les autres, ils n’arrivent pas à lier des contacts sains entre eux.Je suis aussi de notre époque, aujourd'hui, où les gays se comptent par milliers, où certains ont réussi à faire leur « coming-out », où les gays bénéficient d'un certain degré de liberté comparés aux autres pays musulmans, même si le harcèlement par les autorités et l'emprisonnement des homosexuels sont loin d'être inhabituels, où certains gay tunisiens se préparent pour une « Gay Pride en Tunisie » prévue pour le 28 juin 2011. Une marche de Fierté ! Avant de concevoir un tel événement d’ampleur internationale, se sont-ils pas demandés s’ils font la fierté de la communauté gay dans le monde ?
Depuis toujours, dans la tête de la majorité des gens dans notre pays, homosexualité et prostitution ne font qu’un... Quand la personne est jeune, elle se fait payer par des hommes  "qui ne seraient pas forcément homosexuels mais qui auraient des préférences pour les jeunes garçons", quand elle est plus âgée elle fréquenterait des jeunes "qui eux non plus ne seraient pas forcément  homosexuels mais plutôt frustrés par la séparation des sexes ou ayant des besoins d’argent". Que ne ferait pas la conscience collective pour être plus en paix avec elle-même ! Les exemples de ce genre d’hypocrisie sociale ne manquent pas dans nos sociétés. Et encore une fois, une grande majorité des gays d’aujourd’hui viennent confirmer cette règle ...
Cependant dans une ou deux grandes villes, il existe depuis quelques années un embryon de ce que l’on pourrait considérer comme une communauté gay. Elle n’est certes pas à l’image de ce qu’elle serait en Europe, mais plutôt à l’image de notre société, pleine de contradictions, de déni, d’hypocrisie, mais aussi de plus en plus visible, de plus en plus revendicatrice.  Mais peut-on parler de communauté, elle est tellement hétéroclite ! Il existe un mot, sorti d’on ne sait où, pour la définir en Tunisie : c’est le "domaine" ! Un nom de code entre les personnes concernées, il englobe tout ceux qui de près ou de loin ont un rapport avec l’homosexualité. 
Quand tu parcours les comptes des gay tunisiens sur Facebook, tu constate que plusieurs parlent au nom de la dignité des gays, du respect de notre différence, de la solidarité entre les gens de la communauté, ils revendiquent le droit d’aimer et de vivre heureux. A peine le rideau levé pour voir derrière et tu découvres un monde de perversions, de mensonges, de dénigrement, cachés sous un masque de pureté, d’innocence et de victimisation.
Alors, quand est ce que les gays tunisiens comprendront qu'être gay n’est pas que « sex and drugs » ?, qu’être gay c’est un être un humain avant tout, un être qui sait aimer, qui sait donner, qui soit fier de sa différence ...

http://www.za-gay.org/actu/3184/la-vie-gay-en-tunisie/